Thomas Barba viens de sortir « le livre noir de LA Poste ». Thomas Barba est entré à La Poste à l'époque, on disait les PTT en 1983. Chargé du tri, puis facteur, responsable d'un bureau et enfin inspecteur des postes, ce fils d'immigrés espagnols a gravi un à un tous les échelons. Il connaît tout de la maison. Il a vu, et donc subi, la modernisation effrénée de l'établissement depuis une vingtaine d'années.
Une mutation à marche forcée, imposée par les pouvoirs publics et la direction de la vénérable institution, faite au détriment des 300.000 salariés mais aussi des millions d'usagers. Harcèlement moral, suicide, précarité, discrimination... Thomas Barba dénonce, exemples à l'appui, les méthodes managériales effarantes et la politique du chiffre absurde mises en œuvre à La Poste. Avec un seul résultat probant : la dégradation des conditions de travail et du service rendu à la population.
Conseiller juridique autodidacte, médiatisé depuis qu'il a obtenu gain de cause, en 2004, pour la factrice aux 574 CDD, Thomas Barba a fait condamner La Poste à plus de... 150 reprises ! Un engagement en faveur de ses collègues qui lui ont valu de multiples intimidations, des dénonciations calomnieuses mais aussi des pressions amicales de certains syndicats maison, soucieux de préserver, à tout prix, leurs privilèges.
A travers ce témoignage édifiant, véritable « livre noir » de La Poste, Thomas Barba raconte aussi son histoire, celle d'un insurgé qui a choisi de défendre coûte que coûte le service public et ses postiers.
Entretien avec Thomas Barba :
Propos recueillis par recueillis par David Giraud - Liaisons Sociales
Alors que le groupe La Poste vient de conclure un accord-cadre sur la qualité de vie au travail, Thomas Barba, auteur du Livre noir de La Poste, estime que les véritables changements organisationnels et managériaux ne se feront pas sans une intervention politique. La tension sociale perdure, rappelle ce cadre supérieur installé dans le Tarn, par ailleurs délégué syndical SUD.
Liaisons Sociales : Bête noire de la direction de La Poste, vous êtes aussi considéré comme un sauveur par de nombreux salariés...
Thomas Barba : Tout commence avec la loi du 12 juillet 1990, et son article 31. A l’époque, le gouvernement de gauche voulait permettre à l’établissement postal de recruter, sur des postes spécifiques et périphériques au cœur du métier, des contractuels de droit privé comme des informaticiens, des ingénieurs, des médecins. Les recours à ces CDD devaient être une exception. Il n’en a rien été et La Poste a en fait multiplié ces contrats illégaux dans tous les corps de métier, les facteurs en tête avec dans certains cas, plus de 400 CDD pour une personne. Selon les bilans sociaux de 1991 à 2004, ces embauches ont été massivement féminines. Or, à chaque contrat, l’ancienneté n’était pas reprise. Cette stratégie que j’appelle « la gestion par le risque » a fini par être prise en défaut. J’ai pu gagner pas moins de 160 procès aux Prud’hommes au titre de violation grossière du Code du travail, de non respect des règles de fond et de forme des CDD et autres CDI à temps partiels imposés.
Liaisons Sociales : Ces faits sont désormais connus, pourquoi y revenir dans votre livre ?
Thomas Barba : Une loi de juin 2008 a réduit le délai de prescription de 30 à 5 ans pour obtenir des dommages et intérêts en plus des rappels de salaire. Dès lors, il sera impossible de réclamer son dû dans quelques mois, précisément à partir du 19 juin 2013. Il existe encore une possibilité d’obtenir réparation au delà des 5 ans si le principe de discrimination indirecte est reconnu. Cela concerne des milliers de personnes, qui pourront notamment disposer d’une retraite plus conforme, avec la reprise de l’ancienneté. Personne ne doit ignorer que la Poste était parfaitement au courant de l’illégalité de cette gestion par le risque. Mais tant que l’illégalité a été plus rentable que la légalité, sous la bienveillance de son principal actionnaire (l’Etat, NDLR), elle a continué ces pratiques scandaleuses. Les éventuels rebelles qui avaient « l’arrogance » de demander un CDI subissaient le chantage suivant : soit vous portez plainte et vous perdez le poste, soit vous vous taisez et cela continue. Beaucoup ont préféré se taire. Les embauches sous contrat précaire ont diminué après les accords de Vaugirard en novembre et décembre 2004, mais ils demeurent. Le plus souvent, les CDD sont gardés 1 ou 2 ans, mais ils ne sont pas réembauchés.
Liaisons Sociales : Vous évoquez aussi le management par le stress...
Thomas Barba : J’ai commencé mon livre par un hommage à l’un des cadres postiers, qui s’est suicidé en 2005 en laissant une lettre très claire qui liait son geste à son travail. Depuis, il y a eu d’autres suicides, sans parler des tentatives. En un mois et demi, dans ma région, deux collègues ont tenté de mettre de fin à leur jour. Je ne suis pas le seul à avoir pris la parole sur ce phénomène. Certains membres de l’encadrement en ont eu conscience, comme l’ancienne DRH, Astrid Herbert Ravel, actuellement en procès contre le président Jean-Paul Bailly.
Le problème, c’est que les objectifs ne sont pas fixés comme ils devraient l’être. Prenons le courrier : la baisse du volume a été trop exagérée. Certes, les courriels ont limité le recours au courrier, mais dans le même temps, il n’y a jamais eu autant de boites aux lettres, du fait du nombre de maison individuelle, des divorces. Or, les cadres n’ont pas d’autre choix que de mettre en place des organisations du travail, pour écouler le trafic, élaborées avec des effectifs insuffisants. Résultat des courses : les facteurs ne finissent pas dans les temps, font des heures supplémentaires non payées et pour certains tirent sur la corde. Beaucoup de managers se rendent compte de cette situation et certains le vivent très mal. Autre surenchère, sur les départs en retraite non remplacés. La direction a fixé des objectifs démesurés, ce qui a provoqué de sérieuses empoignades y compris en haut lieu
Liaisons Sociales : Depuis, la commission Kaspar a rendu ses travaux et des mesures ont été prises. Qu'en pensez-vous ?
Thomas Barba : Comme disait le général de Gaulle, quand on veut enterrer un problème, on crée une commission. J’ai lu le rapport, qui ne mentionne pas la période 1991-2004. Je ne peux pas être contre les propositions de Jean Kaspar. Mais ce sont des évidences censées lutter contre des dysfonctionnements que nous dénonçons depuis des années. Il faut une DRH plus proche du terrain, plus humaine. Oui, et après ? Que se passe-t-il dans les faits ? Les postiers attendent de voir, car ils sont devenus très méfiants sur les annonces. Je vais vous donner deux illustrations récentes des problèmes qui perdurent dans notre entreprise. Le premier concerne un problème de management au sein de ma direction opérationnelle territoriale courrier (DOTC). Un cabinet d’audit a relevé une chose invraisemblable : le directeur de la DOTC faisait un conseil de direction sans aucun tour de table. Il a fallu un cabinet d’audit pour se rendre compte de ça. Les cadres du comité de direction n’osaient pas dire à leur supérieur que ce fonctionnement était trop directif.
Autre exemple, l’histoire d’un jeune facteur d’Albi, embauché en 2010, qui venait d’enchaîner 7 CDD à temps complet. Son contrat s’achève, on lui annonce qu’il est renouvelé mais on ne lui fournit pas de contrat. : il continue de travailler quelques jours de plus avant qu’on ne lui remette un nouveau CDD et qu’on lui demande de l’antidater pour rentrer dans les délais. Ce qu’il refuse, ne voulant pas signer de faux documents. Sur le plan juridique, c’est un faux en écriture privée. Il a travaillé 4 jours sans contrat, c’est devenu un CDI de fait. Il sera banni de La Poste. Gagnera quelques milliers d’euros aux prud’hommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les cadres qui l’ont « harcelé » pour qu’il antidate son contrat ont bénéficié, tout de même, d’une promotion, qui sans doute, pour être honnête, était déjà planifiée.
La question de la formation des managers à la prévention du stress est importante, mais comment appliquer ce qu’ils auront appris si les objectifs demeurent inflationnistes ? Selon moi, la véritable impulsion pour l’entreprise, dont l’Etat est l’unique actionnaire, doit venir du politique. Pour l’instant, la tension sociale perdure.